— Tu sais, à cinquante ans, une femme a déjà l’impression d’être vieille et hors champ, tant notre société souffre de jeunisme. Je ne pense pas que tu puisses imaginer ce qu’une femme peut ressentir lorsqu’elle devient invisible aux yeux des hommes.

— Marcher dans la rue, croiser des hommes seuls sans qu’aucun ne lève les yeux vers nous, sans qu’aucun ne nous sourie, ou pire encore, que certains d’entre eux nous regardent puis détournent la tête alors que leur visage affiche la plus parfaite indifférence.

— C’est insupportable. Et tellement injuste parce que vous, les hommes, n’aurez jamais à vivre la même chose. Vous restez séduisants aux yeux des femmes jusque très tard dans votre vie. Votre charme ne tient pas à votre tour de taille ou au nombre de rides que vous avez autour des yeux. 

— Mais vois-tu, tout ça, c’est sans grande importance. Au bout du compte, ce qui me préoccupe le plus, c’est la complète solitude dans laquelle vit Christine. Que va-t-il se passer quand elle rentrera, seule, à la maison ? Lorsqu’elle sera assaillie par tous ses souvenirs dès qu’elle aura franchi le pas de la porte ? Moi aussi, je vis seule, mais j’ai une petite compagne, Vodka, qui me régale de sa douce présence, avec laquelle j’ai une relation affectueuse et si reposante après une journée passée avec des collègues pas toujours faciles à décoder, comme tu le sais mieux que quiconque. 

François reste silencieux quelques instants puis lui dit :

— Éliane, je te l’ai déjà dit et je vais te le répéter. Tu ne peux pas porter sur tes épaules la responsabilité de ce qu’a fait Christine. Tu lui as consacré énormément de temps et d’énergie depuis des années et ce que tu as fait pour elle est exceptionnel. Je suis persuadé qu’elle en a parfaitement conscience. Si elle a posé cet acte, c’est qu’à ses yeux, il n’y avait pas d’autre issue à sa souffrance.

— Te sentir coupable de ce qu’elle a fait équivaut à traiter ton amie comme une enfant immature qui ne peut rien faire sans qu’on lui tienne la main.